Naufrage de Bontekoé dans le détroit de la Sonde en Indonésie

 

 


Incendie du vaisseau hollandais la Nouvelle Hoorn (Nieuw Hoorn),
près le détroit de la Sonde, dans la Mer des Indes orientales
et aventures de Bontekoé



Extrait tiré de
"Journael ofte gedenckwaerdige beschrijvinge van de Oost-Indische reyse van Willem Ysbrantsz.
Bontekoe van Hoorn, begrijpende veel wonderlijcke en gevaerlijcke saecken hem daer
in wedervaren en 1646"

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Willem Ysbrants Bontekoe fut nommé en 1618, par la Compagnie hollandaise des Indes orientales, capitaine du vaisseau la Nouvelle Hoorn, envoyé aux Indes pour de simples intérêts de commerce; il était monté de deux cent six hommes d'équipage et du port de onze cents tonneaux.

Bontekoé partit du Texel le 18 de décembre et dès le 5 de Janvier, après avoir doublé la pointe d'Angleterre, son vaisseau essuya trois furieux coups de vent qui couvrirent d'eau la moitié du haut pont. L'équipage en eut tant d'effroi, qu'on entendit crier de toutes parts: Nous coulons bas ! La tempête fut si violente, les éclairs si fréquents et la pluie si prodigieuse, qu'il semblait que la mer s'était élevée au dessus de l'atmosphère; les éléments de l'air et du feu paraissaient confondus. Bontekoé toujours actif, surtout dans le danger, ordonna de puiser l'eau avec les seaux de cuir; tout l'équipage y fut employé; mais les ponts (se trouvaient si embarrassés par les coffres, que dans le roulis continuel du vaisseau, qui les faisait heurter l'un contre l'autre, on ne trouvait pas de place pour le travail. Il fallut mettre en pièces ceux qui apportaient le plus d'obstacles aux ouvriers.

On se vit enfin délivré du danger, mais le gros temps dura jusqu'au 19 et ce ne fut que le 10 qu'on profita du calme pour le remettre en état de continuer le voyage. Deux vaisseaux hollandais qu'on rencontra successivement, l'un nommé la Nouvelle Zélande, qui avait pour capitaine Pierre dam; l'autre, qui se nommait l'Enkuisen, sous le commandement de Jean Jansz, apportèrent de la consolation et du secours à la Nouvelle Hoorn.

Cependant elle en fut bientôt séparée et les ayant rejoints aux îles du Cap-Vert, é apprit d'eux qu'au lieu d'obtenir des rafraîchissements dans l'île de Mai, comme ils s'en étaient flattés en y abordant, les Espagnols leur avaient tué trois hommes. Ils firent voile de conserve pour passer la ligne; mais ils tombèrent dans des calmes qui les retinrent trois semaines entières et les forcèrent à changer leur route pour aller passer les Abrolhos avec un vent sud-est. Le calme les prit encore près de ces rochers et leur fit craindre de se voir obligés de retourner en arrière, avec le risque d'avoir beaucoup de malades dans l'équipage. Ils les passèrent néanmoins. La crainte de voir briser son vaisseau détermina Bontekoe à assembler le conseil; après avoir considéré que les équipages étaient vigoureux et la provision d'eau abondante, les officiers des trois vaisseaux décidèrent à doubler le Cap sans y toucher. Cette résolution fut exécutée heureusement et l'on rangea la terre de Natal, avec un fort beau temps.

On était à la fin du mois de Mai, cinq mois s'étaient déjà passés depuis le départ de la Nouvelle Hoorn. L'Enkuisen qui était destiné pour la côte de Coromandel, se sépara ici des deux autres pour prendre sa route entre la côte d'Afrique et l'île de Madagascar. Bientôt, à l'occasion de quelques différends, Bontekoe quitta aussi la Nouvelle-Zélande; on se perdit de vue à vingt-trois degrés de latitude du sud.

Depuis cette fatale séparation, la Nouvelle Hoorn ne fit plus qu'avancer vers sa perte. Les maladies avaient commencé à se répandre à bord. Elles augmentèrent si rapidement qu'il y avait quarante hommes hors de service. La plupart des autres étant presqu'en aussi mauvais état, on tourna vers Madagascar pour se rendre à la baie de Saint-Louis; mais on ne put trouver de mouillage où le vaisseau fût en sûreté. Bontekoe fit mettre la chaloupe en mer et y entra lui-même, pendant que le vaisseau faisait de petites bordées pour se maintenir.

La mer brisait si fort contre le rivage qu'il était impossible d'en approcher. Cependant on vit paraître des Insulaires et un matelot de la chaloupe se mit à la nage pour leur parler. Ils faisaient des signes de la main et semblaient marquer un lieu propre au débarquement. Mais comme on n'était pas sûr de les entendre et qu'ils n'offraient aucun rafraîchissement, il fallut retourner à bord après une fatigue inutile. Les malades qui virent revenir Bontekoe les mains vides en furent consternés. On remit à la voile vers le sud jusqu'à la hauteur de vingt neuf degrés, ou changeant de bord on résolut d'aller relâcher à l'île Maurice ou à l'île Mascarenhas.

En effet, ayant gouverné pour passer entre ces deux îles qui ne sont pas éloignées l’une de l'autre, la Nouvelle Hoorn aborda au cap de Mascarenhas; on trouva quarante brasses de profondeur proche de la terre. Quoique ce lieu ne parût pas bien sur, parce qu'on était trop près du rivage, on ne laissa pas d'y mouiller. Tous les malades soupiraient après la terre, mais les brisants ne leur permettaient pas d'en courir le danger. La chaloupe y fut envoyée pour visiter l'île. On y trouva une multitude de tortues. Cette vue augmenta l'ardeur des malades, qui se promettaient d'être à demi guéris aussitôt qu'ils seraient descendus. Le marchand du vaisseau, qui se nommait Heinrol, s'opposait à leur descente, sous prétexte que le vaisseau pouvait dériver et qu'on courait risque de perdre tous ceux qui seraient à terre. Les malades insistaient néanmoins les mains jointes et avec de si vives insistances, que Bontekoe en fut touché.

Après avoir prié vainement Roi d'y consentir, il se chargea de l'événement et passant sur le pont il cria joyeusement qu'il allait mettre tout le monde à terre. Cette promesse fut reçue avec des transports de joie. Les matelots qui étaient en santé aidèrent aux malades à descendre dans la chaloupe; Bontekoe leur donna une voile pour se dresser une tente avec des provisions, des ustensiles et un cuisinier; il descendit lui même pour leur servir de guide. Ce fut un spectacle fort touchant de les voir arriver sur l'herbe et s'y rouler comme dans un lieu de délices; ils assuraient que cette seule situation leur donnait déjà du soulagement…

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…La Nouvelle Hoorn avaient été nettoyée jusqu'à la quille et réparée si soigneusement que s'il restait quelque défiance aux Hollandais, ce ne pouvait être du côté de leur vaisseau. Ils remirent à la voile vers le sud, jusqu'à la hauteur de trente trois degrés, qu'ils changèrent de bord pour porter vers le détroit de la Sonde. Le 19 de Novembre 1619, ils se voyaient à la hauteur de cinq degrés et demi qui est celle du détroit, lorsque Bontekoe qui était sur le haut pont entendit crier : Au feu ! Au feu !

Il se hâta de descendre au fond de cale, où il ne vit aucune apparence de feu. II demanda où l'on croyait qu'il eût pris. Capitaine, lui dit-on, c'est dans ce tonneau. Il y porta la main, sans y rien sentir de brûlant. Sa terreur ne l'empêcha pas de se faire expliquer la cause d'une si vive alarme. On lui raconta que le maître valet d'eau étant descendu l'après midi, suivant l'usage, pour tirer l'eau-de-vie qui devait être distribuée le lendemain à l'équipage, avait attaché son chandelier de fer à la futaille d'un baril qui était d'un rang plus haut que celui qu'il devait percer. Une étincelle, ou plutôt une petite partie de la mèche ardente, était tombée justement dans le trou du bondon; le feu avait pris à l'eau-de-vie du tonneau et les deux fonds ayant aussitôt sauté, l'eau-de-vie enflammée avait coulé jusqu'au charbon de forge.

Cependant on avait jeté quelques cruches d'eau sur le feu, ce qui le faisait paraître éteint. Bontekoe un peu rassuré par ce récit, fit verser de l'eau à pleins seaux sur le charbon et n'apercevant aucune trace de feu, il remonta tranquillement sur le pont. Mais les suites de cet événement devinrent bientôt si terribles, que pour satisfaire pleinement la curiosité du lecteur par une description intéressante, nous laisserons parler l'auteur lui-même.

La peinture naïve qu'il en a faite, mérite d'être conservée jusques dans ses moindres circonstances. « Une demi-heure après, dit Bontekoe, quelques-uns de nos gens commencèrent à crier : Au feu ! J'en fus fort épouvanté et descendant aussitôt, je vis la flamme qui montait de l'endroit le plus creux du fond de cale.

L'embrasement était dans le charbon où l'eau-de-vie avait pénétré et le danger paraissait d'autant plus pressant, qu'il y avait trois ou quatre rangs de tonneaux les uns sur les autres. Nous recommençâmes à jeter de l'eau à pleins seaux et nous en jetâmes une prodigieuse quantité. Mais il survint un nouvel incident qui augmenta le trouble; l'eau tombée fur le charbon causa une fumée si épaisse, si sulfureuse et si puante, qu'on étouffait dans le fond de cale et qu'il était presque impossible d'y demeurer.

J'y étais néanmoins pour y donner les ordres et je faisais sortir les matelots tour à tour, pour leur laisser le temps de se rafraîchir. Je soupçonnais déjà que plusieurs avaient été étoffés sans avoir pu arriver jusqu'aux écoutilles. Moi-même j'étais si étourdi que ne sachant plus ce que je faisais, j'allai par intervalles reposer ma tête sur un tonneau, tournant le visage vers l'écoutille pour respirer un moment. Enfin me trouvant forcé de sortir, je dis à Roi qu'il me paraissait nécessaire de jeter la poudre à la mer. Il ne put s'y résoudre: Si nous jetons la poudre, me dit-il, il y a de l'apparence que nous ne devons plus craindre de périr par le feu; mais que deviendrons-nous lorsque nous trouverons des ennemis à combattre ? »

Cependant le feu ne diminuait pas, la puanteur et l'épaisseur de la fumée ne permettaient plus à personne de demeurer à fond de cale. On prit la hache et dans le bas-pont vers l'arrière on fit de grands trous par lesquels on jeta une grande quantité d'eau, sans cesser d'en jeter en même temps par les écoutilles. Il y avait trois semaines qu'on avait mis la grande chaloupe à la mer; on y mit aussi le canot qui était sur le haut-pont, parce qu'il causait de l'embarras à ceux qui puisaient l'eau. La frayeur était telle qu'on ne peut la représenter. On ne voyait que le feu et l'eau dont on était également menacé et de l'un desquels il fallait être dévoré sans aucune espérance de secours; car on n'avait la vue d'aucune terre ni la compagnie d'aucun autre vaisseau. Les gens de l'équipage commençaient à s'écouler et se glissant de tous côtés hors du bord, ils descendaient sur les porte-haubans; de là, ils se laissaient tomber dans l'eau et nageant vers la chaloupe ou vers le canot, ils y montaient et se cachaient sous les bancs ou sous les couvertes, en attendant qu'ils se trouvassent en assez grand nombre pour s'éloigner ensemble.

Roi étant allé par hasard dans la galère, fut étonné de voir tant de gens dans le canot et dans la chaloupe: ils lui crièrent qu'ils allaient prendre le large et l'exhortèrent à descendre avec eux. Leurs insistances et la vue du péril lui firent prendre ce parti. En arrivant à la chaloupe, il leur dit : Mes amis, il faut attendre le capitaine. Mais ses ordres et ses représentations n'étaient plus écoutés. Aussitôt qu'il fut embarqué ils coupèrent le cordage et s'éloignèrent du vaisseau. Comme toujours occupé à donner mes ordres et à presser le travail, quelques-uns de ceux qui restaient vinrent me dire avec beaucoup d'épouvante : « Ah, capitaine ! Qu’allons-nous devenir? La chaloupe et le canot sont à la mer. Si l'on nous quitte, leur dis-je, c'est avec le dessein de ne plus revenir ». Et courant aussitôt sur le haut-pont, je vis effectivement la manœuvre des fugitifs. Les voiles du venteau étaient sur mât et la grande voile était sur ses cargues.

Je criai aux matelots : Hisse vite et déferle; efforçons-nous de les joindre et s'ils refusent de nous recevoir dans leur chaloupe, nous ferons passer le navire par dessus eux, pour leur apprendre leur devoir. En effet, nous approchâmes d'eux jusqu'à la distance de trois longueurs du vaisseau; mais ils gagnèrent au vent et s'éloignèrent. Je dis alors à ceux qui étaient avec moi: Amis, vous voyez qu'il ne nous reste plus d'espérance que dans la miséricorde de Dieu et dans nos propres efforts, il faut se redoubler et tâcher d'éteindre le feu. Courez à la soute aux poudres et jetez-les à la mer avant que le feu puisse y gagner. De mon côté, je pris les charpentiers et je leur ordonnai de faire promptement des trous avec de grandes gouges et des tarières pour faire entrer l'eau dans le navire jusqu'à la hauteur d'une brasse et demie. Mais ces outils ne purent pénétrer les cordages, parce qu'ils étaient garnis de fer.

Cet obstacle répandit une consternation qui ne peut jamais être exprimée: l'air retentissait de gémissements et de cris. On se remit à jeter de l'eau et l'embrasement parut diminuer; mais peu de temps après le feu prit aux huiles. Ce fut alors que nous crûmes notre perte inévitable. Plus on jetait d'eau, plus l'incendie paraissait augmenter. L'huile et la flamme qui en sortait se répandaient de toutes parts. Dans cet affreux état, on poussait des cris et des hurlements si terribles, que mes cheveux se hérissaient et je me sentais tout couvert d'une sueur froide.

Cependant le travail continuait avec la même ardeur; on jetait de l'eau dans le navire et les poudres à la mer. On avait déjà jeté soixante demi-barils de poudre, mais il en restait encore trois cents. Le feu y prit et fit sauter le vaisseau qui dans un instant fut brisé en mille et mille pièces. Nous y étions encore au nombre de cent dix- neuf. Je me trouvais alors sur le pont près de l'armure de la grande voile et pavois devant les yeux soixante-trois hommes qui puisaient de l'eau. Ils furent emportés avec la vitesse d'un éclair et disparurent tellement qu'on n'aurait pu dire ce qu'ils étaient devenus. Tous les autres eurent le même sort. Pour moi, qui m'attendais à périr comme tous mes compagnons, j'étendis les bras et les mains vers le ciel et je m'écriai : O Seigneur ! Faites-moi miséricorde.

Quoiqu'en me sentant sauter je crusse que c'était fait de moi, je conservai néanmoins toute la liberté de mon jugement et je sentis dans mon cœur une étincelle d'espérance. Du milieu des airs je tombai dans l'eau entre les débris du navire qui était en pièces. Dans cette situation, mon courage se ranima si vivement que je crus devenir un autre homme.

En regardant autour de moi, je vis le grand mât à l'un de mes côtés et le mât de misaine à l'autre. Je me mis sur le grand mât, d'où je considérai tous les tristes objets dont j'étais environné. Alors je dis, en poussant un grand soupir : O Dieu ! Ce beau navire est donc péri comme Sodome et Gomorrhe ! Je fus quelque temps sans apercevoir aucun homme. Cependant, tandis que je m'abîmais dans mes réflexions, je vis paraître sur l'eau un jeune homme qui sortait du fond et qui nageait des pieds et des mains. Il saisit la cagouille de l'éperon, qui flottait sur l'eau et dit en s'y mettant : Me voici encore au monde.

J'entendis sa voix, et je m'écriai : O Dieu ! Y a-t-il ici quelque autre que moi qui soit en vie ? Ce jeune homme se nommait Harman Van Kniphuisen, natif de Eyder. Je vis flotter près de lui un petit mât. Comme le grand sur lequel j'étais ne cessait de rouler et de tourner, ce qui me causait beaucoup de peine, je dis à Harman : Pousse-moi cette épare, je me mettrai dessus et la ferai flotter vers toi pour nous y mettre ensemble. Il fit ce que je lui ordonnais; sans quoi, brisé comme j'étais de mon saut et de ma chute, le dos fracassé et blessé à deux endroits de la tête, il m'aurait été impossible de le joindre. Ces maux dont je ne m'étais pas encore aperçu commencèrent à se faire sentir avec tant de force, qu'il me sembla tout d'un coup que je cessais de voir et d'entendre. Nous étions tous deux l'un près de l'autre, chacun tenant au bras une pièce du revers de l'éperon.

Nous jetions-là vue de tous côtés, dans l'espérance de découvrir la chaloupe ou le canot. A la fin nous les aperçûmes, mais fort loin de nous. Le soleil était au bas de l'horizon. Je dis au compagnon de mon infortune : Ami, toute espérance est perdue pour nous. II est tard; le canot et la chaloupe étant si loin, il n'est pas possible que nous nous soutenions toute la nuit dans cette situation. Elevons nos cœurs à Dieu et demandons-lui notre salut avec une résignation entière à sa volonté.

Nous nous mîmes en prières et nous obtînmes Grace; car à peine achevions-nous de pousser nos vœux au ciel, que levant les yeux nous vîmes la chaloupe et le canot près de nous. Quelle joie pour des malheureux qui se croyaient prêts à périr J Je criai aussitôt: Sauve ! Sauve le capitaine ! Quelques matelots qui m'entendirent se mirent aussi à crier: Le capitaine vit encore ! Ils s'approchèrent des débris; mais ils n'osaient avancer davantage, dans la crainte d'être heurtés par les grosses pièces. Harman qui n'avait été que peu blessé en sautant, se sentit assez de vigueur pour se mettre à la nage et se rendit dans la chaloupe. Pour moi, je criai : Si vous voulez me sauver la vie, il faut que vous veniez jusqu'à moi, car j'ai été si maltraité que je n'ai pas la force de nager.

Le trompette s'étant jeté à la mer avec une ligne de sonde qui se trouva dans la chaloupe, en apporta un bout jusqu'entre mes mains. Je la fis tourner autour de ma ceinture, et ce secours me fit arriver heureusement à bord ; j'y trouvai Roi, Guillaume Van Galen et le second pilote nommé Meindtrt Kryns, qui était de Hoorn. Ils me regardèrent longtemps avec admiration. J'avais fait faire à l'arrière de la chaloupe une petite tengue qui pouvait contenir deux hommes.

J'y entrai pour y prendre un peu de repos; car je me sentais si mal que je ne croyais par avoir beaucoup de temps à vivre; j'avais le dos brisé et je souffrais mortellement des deux trous que j'avais à la tête. Cependant je dis à Roi: Je crois que nous ferions bien de demeurer cette nuit proche des débris. Demain, lorsqu'il fera jour, nous pourrons sauver quelques vivres et peut-être trouverons-nous une boussole pour nous aider à découvrir les terres. On s'était sauvé avec tant de précipitation, qu'on était presque sans vivres.

A l'égard des boussoles, le premier pilote, qui soupçonnait la plupart des gens de l'équipage de vouloir abandonner le navire, les avait ôtées de l'habitacle; ce qui n'avait pu arrêter l'exécution de leur projet, ni l'empêcher lui-même de périr. Roi négligeant mon conseil, fit prendre les rames comme s'il eût été jour. Mais après avoir vogué toute la nuit dans l'espérance de découvrir les terres au lever du Soleil, il se vit bien loin de son attente, en reconnaissant qu'il était également éloigné des terres et des débris. On vint me demander dans ma retraite si j'étais mort ou vivant. Capitaine, me dit-on, qu'allons-nous devenir ? II ne se présente point de terre et nous sommes sans vivres, sans carte et sans boussole. Amis, leur répondis-je, il fallait m'en croire hier au soir, lorsque je vous conseillais fortement de ne pas vous éloigner des débris.

Je me souviens que pendant que je flottais sur le mât, j'étais environné de lard, de fromage et d'autres provisions. Cher capitaine, me dirent-ils affectueusement, sortez de là et venez nous conduire. Je ne puis, leur répliquai-je et je suis si perclus qu'il m'est impossible de remuer. Cependant avec leur secours j'allai m'asseoir sur le pont, où je vis l'équipage qui continuait de ramer. Je demandai quels étaient les vivres; on me montra sept ou huit livres de biscuit.

Cessez de ramer, leur dis-je, vous vous fatiguerez vainement et vous n'aurez point à manger pour réparer vos forces. Ils me demandèrent ce qu'il fallait donc qu'ils fissent. Je les exhortai à se dépouiller de leurs chemises pour en faire des voiles. La difficulté était de trouver du fil, je leur fis prendre les paquets de corde qui étaient de rechange dans la chaloupe; ils en firent une espèce de fil de caret et du reste on en fit des écoutes . Cet exemple fut suivi dans le canot. On parvint ainsi à coudre toutes les chemises ensemble et l'on en composa de petites voiles… (A suivre...)

 

 

 

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